22 Avr Finance Durable, doucement mais sûrement !
Sustainable Finance, gimme a fuckin reason !
Une ou deux questions reviennent régulièrement lorsque j’évoque mon travail sur la Finance Durable. Je parle de la COP21, des engagements pris par les états, des objectifs de développement durable de l’ONU, de l’European Green Deal, de la taxonomie européenne, de l’impact et des notations ESG, je souligne l’effort de transparence acté pour faciliter le choix des investisseurs et les progrès réalisés dans l’appréhension des risques climatiques au sein de la réglementation financière… mais les questions restent : Pourquoi un investisseur aurait-il une préférence pour un produit financier ayant un impact positif sur l’écologie, la société ? N’est-il pas uniquement intéressé par le rendement et le risque ?
“It’s all about bucks, kid. The rest is conversation.”
Gordon Gecko – Wall Street (1987)
Je crois sincèrement à la prise en compte des questions sociétales et environnementales par les investisseurs. Mais adoptons une approche un peu plus pragmatique : Pour quelles raisons économiques serait-il intéressant d’investir dans des entreprises, ou projets, portant une vision durable ? Quels sont les facteurs qui vont amener ce pan de la finance à se développer et à prospérer ?
Pour des raisons Politiques et Réglementaires
Le retrait américain (malgré son retour), a remis en question la crédibilité des accords sur le long terme. La COP 26 a peut-être souligné l’incapacité des états à agir vite et ensemble. Elle a pu être décevante avec par exemple les gains sur les émissions Carbone obtenus par l’Inde, la Chine et le Brésil.
On notera, cependant, qu’il existe une volonté politique qui s’exprime en ce moment et la dynamique européenne en est une preuve[i]. Les manifestations d’hier et d’aujourd’hui, le poids électoral pris par les partis écologistes en Europe, la place qu’occupe les questions climatiques dans les débats de société montrent que le sujet est présent. La COP21 a été un premier cap franchi avec des engagements importants. Depuis, les avancées peuvent être vues comme maigres, mais le chemin est tracé. Les taxes carbones, aides d’Etat ou subventions, le respect des règles de transparence et de la taxonomie européenne, tous ces facteurs vont impacter les entreprises. La capacité à se développer et à prospérer dépend aujourd’hui du respect de normes environnementales et sociales plus contraignantes qu’hier. Une entreprise qui anticipe, qui prend en compte ces problématiques et la dynamique actuelle, sera plus profitable dans un futur proche (quid d’une future TVA climatique ou d’une augmentation rapide du coût de l’énergie par exemple). Dans la mesure du risque, le Risque Politique est une composante qui peut être très importante (en Finance, on le connaît bien dans le Risque Pays), en particulier pour les secteurs dont la réglementation est amenée à évoluer de façon importante (extraction minière, énergie, transport…).
En réponse à la pression des consommateurs
Une part importante des consommateurs souhaitent adopter un comportement économique plus responsable dans la plupart des économies développées selon une étude KPMG.
“Greed, for lack of a better word, is good.”
Gordon Gecko – Wall Street (1987)
Afin d’afficher une preuve de bonne gestion
Le film « Wall Street » d’Oliver Stone, sorti en 1987, souligne l’importance du dirigeant d’entreprise dans la réussite de cette dernière. La capacité d’un management à anticiper les évènements futurs est un élément crucial quant à un choix d’investissement. La prise en compte du changement climatique et de ses impacts demandent, par nature, de sortir d’un court-termisme finalement préjudiciable pour la rentabilité. Les entreprises possédant des plans d’alignement en terme d’émissions carbone, une capacité à être prêtes pour la transition, exhibent un management à plus long terme. Serait-il ainsi possible de séparer le bon grain de l’ivrai ? En écho, Blackrock a récemment demandé aux dirigeants de se pencher fortement sur les questions climatiques[iii]. Cela semble aujourd’hui indispensable à tout bon comité de direction[iv].
Une question de réputation
Changement de logo, de nom, prédominance du vert dans l’image de marque, communications en tout genre, le greenwashing s’invite à toutes les tables. Mais si le greenwashing existe, c’est qu’il existe une pression sociale, et donc économique, à maintenir une image eco-friendly. L’importance de la réputation n’est pas nouvelle. Mais aujourd’hui, on voit fleurir les actions de communication mettant en avant l’utilisation de produits recyclés par exemple. Les nouveaux indicateurs fourniront une information de meilleure qualité, plus précise qui demandera plus d’action concrète de la part de ces groupes.
Une information qui progresse et s’impose
En lien avec le paragraphe précédent, l’utilisation des ratings ESG augmente et devient plus prégnante, à l’instar des informations sur la qualité des produits alimentaires vendus aux consommateurs. Le défi, auparavant, était de pouvoir identifier les sociétés ayant de bonnes pratiques. Aujourd’hui, il apparaît plus aisé de les classer, avec pour but, de créer une course vers la durabilité. L’information progresse à grande vitesse. Les grandes agences de notations ont déjà racheté les start-up qui étaient précurseurs dans le domaine. Les standards sont en train d’être définis, comme celui de l’Union Européenne sur les Green Bonds. La taxonomie européenne accompagne également ce mouvement. La capacité de recherche, d’analyse des grands groupes, la quantité de données disponibles vont leur permettre de progresser encore dans la production de telles informations[v]. Les prochains défis résident déjà en notre capacité à agréger ces informations, les améliorer et les vérifier.
“The most valuable commodity I know of is information”
Gordon Gecko – Wall Street (1987)
Un coût en capital
Si certains investisseurs ne tiennent pas compte des critères ESG dans leur prise de décision, d’autres le font. Ainsi, une entreprise considérée comme « green », suscitera l’intérêt d’un plus grand nombre d’investisseurs. La loi de l’offre et de la demande conduit naturellement à obtenir des financements moins chers. On retrouve déjà un léger effet sur le Marché des Green Bonds au cours des années 2010 (voir l’article de David Zerbib[vi]). L’intérêt grandissant des investisseurs et la progression de l’information pourraient encore augmenter cet effet. Par exemple, des initiatives sont lancées pour favoriser l’épargne ESG[vii], et différentes études montrent que les Français souhaiteraient avoir une épargne plus responsable. D’une certaine manière, un cercle vertueux est peut-être en place.
“The main thing about money, Bud, is that it makes you do things you don’t want to do.”
Lou Mannheim – Wall Street (1987)
Des exemples marquants illustrent le point et dessinent le chemin à parcourir
- Le Risque Physique
- Le Risque de Transition
- Le Risque de Litigation et Réputation
Et donc ? Un changement de paradigme déjà en cours
Aujourd’hui, les résultats nous laissent encore sur notre faim. De nombreux facteurs importants vont contre ceux énoncés dans mon propos. L’extraction des matières fossiles reste une activité très profitable, le désengagement de certaines banques est comblé par des fonds moins préoccupés par ces sujets, moins régulés. Mais une dynamique est présente. Aujourd’hui, il est financièrement intéressant de mieux prendre en compte les enjeux ESG et cela renforce le fait qu’il est intéressant d’être présent dans la durabilité, que ce soit pour :
- Une question d’image, de réputation
- Une incitation fiscale
- Une incitation réglementaire
- Une meilleure gestion des risques
- Une incitation de rentabilité
Par ailleurs, la guerre en Ukraine nous rappelle l’importance de l’énergie dans nos économies. Être capable de réduire sa consommation, de diminuer sa dépendance, permet à une entreprise d’être capable d’affronter plus sereinement le futur. La prise en compte d’une hausse soudaine du prix de l’énergie peut faire partie d’une batterie de Stress Tests pour évaluer la pérennité du modèle économique d’une société. On ne peut savoir précisément quels évènements nous allons affronter dans le futur, mais nous avons une idée des conséquences auxquelles nous devons être préparés.
Références
[i] https://ec.europa.eu/info/business-economy-euro/banking-and-finance/sustainable-finance_fr
[ii] https://www.environnement-magazine.fr/territoires/article/2021/03/16/133140/consommation-responsable-67-des-consommateurs-europeens-font-des-achats-plus-verts
[iii] https://www.blackrock.com/corporate/investor-relations/larry-fink-ceo-letter
[iv] https://www.theglobeandmail.com/business/careers/management/board-games/article-corporate-canada-climate-change-esg/
[v] https://www.esgtoday.com/investors-financials-join-new-coalition-to-launch-free-central-esg-data-source/ et https://rse-reporting.com/standardisation-donnees-esg-rse-finance-durable-europeenne/
[vi] https://papers.ssrn.com/sol3/papers.cfm?abstract_id=2889690
[vii] https://www.cnbc.com/2021/10/20/biden-admin-is-making-it-easier-to-invest-in-esg-funds-in-your-401k.html
[viii] https://www.rfi.fr/fr/%C3%A9conomie/20210606-dieselgate-amende-record-pour-l-ancien-patron-de-volkswagen
[ix] https://www.franceculture.fr/emissions/la-bulle-economique/orpea-parmi-les-1ers-de-la-classe-selon-les-notations-esg