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20 Avr Pandémie ! Premier mot sur l’économie

« Avec la mondialisation, nous sommes tous interdépendants. On disait autrefois : lorsque les États-Unis éternuent, le Mexique s’enrhume. Aujourd’hui, lorsque les États-Unis éternuent, une grande partie du monde attrape la grippe, et les problèmes actuels de l’Amérique sont bien plus graves que de simples reniflements… » disait Joseph Stiglitz en 2003.

Aujourd’hui la Chine conteste le statut de première économie aux Etats-Unis, et ce sont les éternuements chinois qui nous impactent.

Mi-novembre, un virus apparait sur un marché à Wuhan en Chine, et le monde entier est aujourd’hui touché. L’épidémie a, maintenant, atteint tous les pays développés et les conséquences de cette épidémie commencent à peine à apparaître. L’objectif de ce papier est de jeter un regard sur la situation actuelle et les conséquences économiques.

  • Le virus et l’épidémie

Le SARS-Cov2 est un virus de type Influenza (famille des HxNx entre autres) qui est nouveau. On ne sait encore que très peu sur ce virus, si ce n’est qu’il est très contagieux (plus que la grippe saisonnière) et semble plus léthal, en particulier pour les personnes fragiles (âge, condition médicale). La pandémie s’est rapidement répandue en Chine, et depuis Mars, touche l’ensemble du globe. L’économie mondiale est aujourd’hui fortement ralentie, et les inquiétudes sont nombreuses. D’un point de vue économique, on assiste à une situation particulière puisque nous sommes face à un choc d’offre (chômage imposé) mais également de demande (baisse de la consommation).

  • Déroulement de l’épidémie – des biais de confirmation malheureux

En France, comme dans de nombreux pays occidentaux, nous n’avons pas anticipé l’ampleur de la pandémie. Les nouvelles de Chine auraient dû nous aider à anticiper. Mais la Chine n’est pas la France. Les nouvelles d’Italie auraient dû nous alerter. Mais la France n’est pas l’Italie. Ce comportement s’explique, entre autres, par des biais de confirmation. Si l’on regarde certains chiffres officiels avec scepticisme, on est moins méfiant lorsque les chiffres nous confortent dans nos certitudes, nous rassurent, ou vont dans le sens de notre apriori.

On notera que le scepticisme envers les chiffres officiels chinois dépend de l’impact de l’information sur nos sociétés. Cela met également en exergue nos rapports aux chiffres. On aurait tendance à trouver important un écart de 1% sur un crédit immobilier, mais une maladie seulement 1% plus mortelle qu’une grippe saisonnière nous choque moins. Cela n’est bien évidemment qu’un facteur explicatif. La rareté, la spécificité de la maladie permettent de comprendre comment la menace a été sous-évaluée. Cela fait penser à la crise financière de 2008 où l’on a mal mesuré deux éléments : l’occurrence de phénomènes à probabilité extrêmement faible et les corrélations entre économies.

  • Les réponses des autorités face à l’épidémie

Les états se sont retrouvés face à une problématique assez classique en gestion des risques mais à une échelle élevée : Combien de décès je tolère contre tant de points de récession sur mon PIB ? Ce n’est pas nouveau, la sécurité routière fonctionne sur le même schéma (la vitesse favorisant les échanges économiques mais étant également à l’origine de décès). L’aspect social devant être pris en compte, une dernière priorité a été mise dans la balance avec nos libertés individuelles.

On en revient à une analyse coût/bénéfice où les facteurs d’incertitudes sont nombreux, les bénéfices pouvant se diviser selon des aspects économiques et/ou sociaux.

L’objectif premier des gouvernements a été de juguler l’épidémie sans ralentir l’activité économique, ainsi furent demander de respecter des règles d’hygiène, d’appliquer des mesures barrières. Puis face à la progression de l’épidémie une réponse progressive allant jusqu’au confinement a été mise en place.

  • Une communication de crise

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Afin d’appuyer la prise de décisions, les autorités se sont appuyées sur des éléments de communication, en particulier on retrouve chez de nombreux gouvernements l’utilisation du graphique suivant :

On remarquera que dans de nombreux pays, les politiques ont régulièrement utilisé la même expression : « Flatten the curve ». D’un point de vue communication, il était utile de fournir, aux citoyens et médias, un point focal. Une idée derrière laquelle on pourrait rapidement justifier des décisions difficiles qui auraient pour objectif de « Flatten the curve ».

 

« Un message sur lequel insiste le gouvernement, qui a choisi de ne pas rationner, mais fait appel à la raison des Français. Or lundi et mardi matin, les Français ont continué à acheter frénétiquement en prévision de la période de confinement. Au point que les fabricants de pâtes comme Panzani se sont concentrés sur les produits les plus simples à élaborer pour accélérer les cadences. De son côté, Barilla, dont les pâtes sont fabriquées hors de France, affirme que ses usines tournent et que les produits alimentaires passent bien les frontières. »

Le problème des dirigeants a été de trouver un équilibre entre susciter l’adhésion des mesures prises en expliquant bien les dangers de l’épidémie sans pour autant créer de panique. L’idée étant que « le message passe ». Mais une fois que les mesures radicales sont mises en place, le danger était d’observer une surréaction.

La problématique sanitaire n’est encore pas réglée qu’il faut comprendre les chocs économiques que la situation entraîne afin d’y répondre également.

 


Et l’économie dans tout ça ?

impact-boursier-coronavirusLa situation actuelle est unique, on assiste à un choc d’offre d’une grande ampleur (usines à l’arrêt) qui se transmet à la demande (baisse de la consommation)[1]. Et lorsque l’on regarde différents pans de l’économie, on observe une multitude de chocs de différentes natures qui rendent complexe l’analyse et la façon d’y répondre.

Les gouvernements ont tout d’abord cherché à soutenir l’offre, à travers des opérations de soutiens à l’économie tels que des mesures de chômage partiel, des plans de soutien aux entreprises et la possibilité de reporter certaines charges. L’idée est d’éviter qu’une crise de liquidité se transforme en crise de solvabilité. Malgré ces mesures fortes (plusieurs milliards débloqués dans de nombreux pays), la bourse s’est effondrée. Cela paraît cohérent aujourd’hui. Tant que la réponse sanitaire n’est pas complète et effective, le niveau d’incertitude reste trop élevé pour valider les stratégies mises en place par les autorités.

branko-milanovicIl faut s’attendre à d’autres mesures de soutien de la part des états. Les premiers retours des économistes demandent des réponses bien plus fortes face à une situation exceptionnelle, et les montants débloqués par les états devraient s’envoler rapidement. On assiste à une crise d’ampleur planétaire, l’économie chinoise devrait se contracter pour la première fois, et les autres économies du monde devraient subir un choc sans précédent[2]. Nous ne savons pas encore combien de temps dureront les mesures de confinement, si des épisodes de déconfinement et confinement se succèderont.

 

The flattened curve we are all hoping for will not actually be flat, three experts write. It is more likely to be a series of ascents and descents — a roller coaster. We need to get ready for a bumpy ride.

 

Cependant les évènements précédents et l’analyse économique nous fournissent quelques éléments pour envisager les potentielles conséquences de l’épidémie :

  • D’un point de vue macroéconomique : 

Un des épisodes de pandémie rencontré les plus violent fut la grippe espagnole de 1918. Une analyse récente[3] sur les conséquences de cette pandémie nous offre les enseignements suivants :

  • « We find that early and extensive NPIs have no adverse effect on local economic outcomes. On the contrary, cities that intervened earlier and more aggressively experience a relative increase in real economic activity after the pandemic”, plus les mesures sanitaires ont été fortes et prises tôt, moins les conséquences économiques sont importantes ;
  • “Areas that were more severely affected by the 1918 Flu Pandemic see a sharp and persistent decline in real economic activity”, plus une zone est affectée, plus l’activité économique se contracte ;

Cette pandémie ayant eu lieu à la sortie de la première guerre mondiale, il est difficile d’isoler les conséquences dues à la sortie de la guerre de celles dues à l’épidémie. Un regard porté sur le brésil à cette époque nous montre que les conséquences sur la vie sociale et l’économie peuvent durer jusqu’à 20 ans même si l’on peut imaginer une meilleure capacité de résilience des sociétés d’aujourd’hui[4]. On s’attend néanmoins à des effets persistants en 2021.

  • D’un point de vue microéconomique

Les impacts seront forcément différents selon les secteurs et restent difficiles à évaluer aujourd’hui. Le tourisme, la restauration et l’évènementiel mettront du temps à retrouver toute leur santé économique. On remarque, a priori, une meilleure résilience de la part des institutions financières (elles sont mieux capitalisées qu’en 2008 et l’utilisation du coussin contracyclique par les autorités prudentielles permet d’agir plus rapidement que lors de la crise des subprimes). Mais des effets de second tour sont forcément attendus, sur les crédits en particulier[5]. Un des dangers serait une décollecte massive, ce qui ne semble pas être le cas aujourd’hui. Un épisode de « bank run » apparait probable dans des situations de crises, et paradoxalement cela peut s’exprimer à travers un comportement rationnel des déposants[6], ce qui permet de comprendre l’importance du fonds de garantie des dépôts.

Cependant, un tel épisode aura un impact sur nos comportements, au moins à court terme. La peur fait partie des éléments guidant nos décisions économiques. Une analyse portant sur le 11 septembre montre que les américains ont changé leurs habitudes de transport suite aux attentats (ce qui a conduit à une surmortalité sur les routes)[7]. A Wuhan, le déconfinement commence tout juste, les premières études laissent apparaitre un changement dans les habitudes de transport, les transports en commun sont délaissés au profit de la voiture individuelle[8]. La crise financière de 1998 en Asie du sud nous livre également des enseignements sur les changements de comportement que l’on pourrait rencontrer. À la suite de cet épisode, on a observé une augmentation de l’épargne dans cette région[9] (théorie du global saving glut qui explique les taux bas à long terme via un excès d’épargne au niveau mondial).

  • D’un point de vue sociétal

Parmi les trois composantes d’arbitrage auxquelles ont dû faire face nos états, il en est une légèrement mise au second plan dans les analyses médias et politiques et, qui étonnamment, ressort beaucoup plus sur les réseaux sociaux d’entreprise, de start-up, ou des particuliers. Les conséquences sociales et humaines des choix ayant amenés nos états au confinement des individus sont importantes. Une économie à l’arrêt, c’est en effet une société dans laquelle nous n’accédons plus à nos libertés fondamentales. Nous ne pouvons plus, circuler librement, aller au théâtre, accéder à la culture, à l’histoire, à l’éducation et le plus important, nous ne pouvons échanger comme hier.

On a ainsi pu voir à quel point notre société était outillée et imaginative pour parvenir à ne pas négliger ce pan de nos valeurs fondamentales : Utilisation accrue des outils collaboratifs, détournés de leur vocation professionnelle au profit des relations quotidiennes des particuliers, hommages à distance à nos soignants en applaudissant chacun à sa fenêtre à 20h le personnel hospitalier, initiatives associatives et de solidarité auprès des plus démunis, prêt de salariés entre entreprise pour limiter le chômage technique, reconversion d’entreprises de textile de luxe au profit de la fourniture de textile médical, libération de brevets au plus grand nombre pour favoriser l’innovation collaborative (Entre autre initiative, celle de Décathlon en est la plus connue, avec la production de masques et respirateurs médicaux grâce à son modèle de masque de plongée) ou enfin la mise en place d’un système d’éducation à distance à travers des cours offerts à la télévision et sur internet et bien d’autres initiatives sur le plan culturel pour ne citer que celles-là.

La liste pourrait être longue et ces déclencheurs, ces initiatives, pendant la crise, doivent nous amener à nous remettre en question sur le poids des relations humaines, la collaboration, remettre de la confiance dans les individus, dans la prise de décision économique et financière.


En conclusion

nouriel-roubiniCette pandémie représente un défi que nos économies n’ont pas connu. Nous avançons à vue, comme le montrent les décisions politiques prises semaine après semaine ou la forte volatilité observée sur les marchés. Les paris sont ouverts sur le type de reprise que l’on observera.

L’histoire nous apprend que les effets se feront ressentir pendant plusieurs trimestres, et que nos comportements s’en verront modifiés. Nous resterons attentifs aux choix d’épargne, de consommation, ainsi qu’aux conséquences sociales. Une dynamique éthique et écologique (par exemple, l’investissement socialement responsable est une réponse à une demande en hausse), pourrait conduire à plus de consommation locale et à un changement dans nos interactions.

D’un point de vue plus économique, aujourd’hui les cours des matières premières sont au plus bas, ce qui peut réduire de nombreux coûts de production et ainsi favoriser une reprise. La crise nous a également permis de voir tout le potentiel qui réside dans notre capacité à utiliser les outils collaboratifs. Jusqu’à 2/3 de notre économie peut être produite, en théorie[10], depuis la maison.

Ainsi, tout du moins à long terme, il est probable que l’on apprenne de cette crise et que l’on en sorte avec une plus forte productivité et qui sait, une économie plus saine.

 


[1] Veronica Guerrieri & Guido Lorenzoni & Ludwig Straub & Iván Werning, 2020. « Macroeconomic Implications of COVID-19: Can Negative Supply Shocks Cause Demand Shortages?, »

NBER Working Papers 26918, National Bureau of Economic Research, Inc.<https://ideas.repec.org/p/nbr/nberwo/26918.html>

[2] https://www.imf.org/en/Publications/WEO/Issues/2020/04/14/weo-april-2020

[3] Correia, Sergio and Luck, Stephan and Verner, Emil, Pandemics Depress the Economy, Public Health Interventions Do Not: Evidence from the 1918 Flu (March 30, 2020). Available at SSRN: https://ssrn.com/abstract=3561560 or http://dx.doi.org/10.2139/ssrn.3561560

[4] Amanda Guimbeau & Nidhiya Menon & Aldo Musacchio, 2020. « The Brazilian Bombshell? The Long-Term Impact of the 1918 Influenza Pandemic the South American Way, »

NBER Working Papers 26929, National Bureau of Economic Research, Inc.<https://ideas.repec.org/p/nbr/nberwo/26929.html>

[5] https://voxeu.org/article/corporate-debt-burdens-threaten-economic-recovery-after-covid-19

[6] Douglas W. Diamond and Philip H. Dybvig : The Journal of Business – Vol. 59, No. 1 (Jan., 1986), pp. 55-68

[7] Garrick Blalock, Vrinda Kadiyali, and Daniel H. Simon. 2007. « The Impact of Post-9/11 Airport Security Measures on the Demand for Air Travel. » Journal of Law and Economics 50(4) November: 731¬–755.

[8]https://www.ipsos.com/sites/default/files/ct/news/documents/2020-03/impact-of-coronavirus-to-new-car-purchase-in-china-ipsos.pdf et https://www.greenbiz.com/article/how-covid-19-will-redesign-urban-mobility

[9] https://www.cfr.org/blog/asias-persistent-savings-glut

[10] https://ideas.repec.org/cgi-bin/refs.cgi